Avec l'aimable autorisation des éditions EXCELSIOR PUBLICATIONS, l'article sur les éoliennes du numéro de septembre 2001 de Science&Vie.
Copyright Denis GROISON/Science&Vie n° 1008-Sep.2001
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Eoliennes
Le vent
tourne


Photo Le Phil

Par Denis Groison
Le vent devenant rentable, les fermes éoliennes vont se multiplier. Mais certains projets soulèvent une vive opposition :
ils risquent de dégrader les lieux, et pas seulement d'un point de vue esthétique.

Jusqu'au 22 juin dernier, le vent ne payait pas bien. Produire 1 kilowattheure d'électricité éolienne coûte entre 30 et 35 centimes en moyenne (0.05 €) (c'est ce qui ressort d'études menées en France et en Grande-Bretagne). Revendre ce kilowattheure à EDF permettait d'encaisser environ 33 centimes(0.05€). Le risque était minime, car l'opérateur national est tenu de racheter leur production aux exploitants d'éoliennes, mais les bénéfices l'étaient tout autant. Or voilà que ce 22 juin le Journal officiel publie un arrêté du ministère des Finances et du secrétariat d’Etat à l'Industrie fixant le tarif de rachat par EDF à 55 centimes (0.08€) pour les cinq prochaines années et à 48 centimes (0.07€) en moyenne pour les dix années suivantes.
“ La France fait comme l'Allemagne, explique Dominique Jamme, chef des coûts de production de la CRE, la Commission pour la régulation de l'électricité (Cette autorité administrative indépendante, créée en 2000 à l'occasion de l'ouverture à la concurrence de 30 % du marché français de l'électricité, encadre le commerce de l'énergie électrique).

Pour développer l'énergie éolienne, ce pays a en effet appliqué une mesure d'obligation d'achat à un prix relativement important, de l'ordre de 50 centimes (0.08€). " Bilan: le vent fournit aujourd'hui 6113 mégawatts (MW) aux Allemands. Ce chiffre recouvre toutefois des situations disparates. L'éolien représente 4 % de la consommation électrique du Schleswig-Holstein, et 0,8 % de celle de la Basse-Saxe.

COMBLER LE RETARD FRANÇAIS
Dans tous les cas, on est loin des scores du Danemark, le pays européen le plus avancé dans ce domaines : son parc éolien, d'une puissance de 2300 MW, comble 10 % de ses besoins en électricité. Quant à la France, ses éoliennes plafonnent à 66 MW, soit moins de 0,01 % de sa production totale d'électricité. Elle souhaite que cette part atteigne 2 % dans neuf ans. Cet objectif s'inscrit dans le cadre d'un engagement pris vis-à-vis de l'Union européenne : d'ici à 2010, 21 % de notre consommation électrique doit être satisfaite par des sources d'énergie renouvelables (l'eau, le soleil, le vent), contre 15 % actuellement.

Sans être vraiment encombré, le marché français de l'éolien compte une vingtaine d'intervenants, qui ont multiplié, ces derniers mois, les projets d'implantation. Pas moins de cent soixante dossiers ont été déposés dans les seules Pyrénées-Orientales! Normal : au courant des négociations avec Bruxelles et des mesures tarifaires incitatives prises en Allemagne, ces différents acteurs avaient senti le vent tourner en leur faveur. Avec EDF dans le rôle du client "captif' pour quinze ans, un prix de rachat leur garantissant d'avance de confortables profits, et les subventions auxquelles ils peuvent prétendre auprès des collectivités locales, ils vont devenir les "rois du pétrole". EDF lui-même n'est pas à plaindre. Certes, il est contraint d'acheter à un prix prohibitif une énergie qu'il revend environ 31 centimes (0.05€) le kilowattheure, mais le surcoût lui est remboursé par un fonds de péréquation auquel participent tous les distributeurs français d'électricité. Alors il joue de bonne grâce son rôle de mécène obligé, en profite pour se faire une image d'électricien "propre", et investit lui aussi dans les fermes éoliennes.

La production d'énergie est à son niveau maximal dès que le vent atteint 10 m/s (soit 36 km/h). Mais les vents forts (au-delà de 14 m/s, soit 50 km/h) perturbent le mouvement des pales et font ainsi baisser la production électrique.
Pour Jean-Michel Germa, qui dirige la Compagnie du vent (le principal conducteur de projets éoliens en France), la manne financière n'est pas forcément bienvenue :
“ Des promoteurs peu scrupuleux se mettent à l'éolienne, proposent des mauvais sites d'implantation et génèrent des réactions de rejet. "

“ Je suis un vieux militant antinucléaire, raconte Jean-Paul Delette, porte-parole des Verts dans l'Hérault. Je suis pour les énergies renouvelables. Avec elles, pas de dioxyde de carbone, pas de danger pour les générations futures, pas de stockage de déchets. L'implantation d'éoliennes ne peut cependant pas se faire n'importe où, n'importe quand, n'importe comment. " Il a créé une association, Bon Vent, qui s'oppose à trois installations prévues dans le Larzac. Il ne cherche pas à protéger ses propres intérêts: “Je ne les verrai même pas d'où j'habite ” , dit-il.
Mais des nuisances existent et il tient à les souligner.
Il accuse les éoliennes de faire du bruit. Les pales d'aujourd'hui sont pourtant bien plus discrètes que celles d'autrefois. Les petites éoliennes qui bordent les routes de Californie font un épouvantable vacarme. Ce n'est pas le cas de ces mâts de 50 mètres, ou plus, qu'on installe en France.

A 50 mètres du centre d'une éolienne émettant 100 décibels (dB), le niveau sonore se situe en général autour de 55 à 60 dB, soit le bruit d'un sèche-linge. A 200 mètres, il atteint 44 dB, ce qui correspond au bruit d'une salle à manger plutôt calme. Deux éoliennes émettent 3 dB de plus qu'une seule; quatre éoliennes, 6 dB de plus qu'une seule. “ Ces chiffres ne sont que des moyennes, commente Jean-Paul Delette. Ce qui est particulièrement pénible, c'est le grincement des hélices qui tournent en l'absence de vent. ”, Car elles ne s'arrêtent jamais, même quand il n'y a plus le moindre souffle d'air (En production, elles appliquent comme toute centrale, un couple moteur. En l’absence de vent ne pouvant se désolidariser, elles restent “entraînées ” par le réseau. Elles continuent donc à tourner, mais cette fois grâce à l’électricité fournie par le réseau. ). Néanmoins, les lois de l'urbanisme sont claires : pas d'habitations à moins de 400 mètres. Dans bien des cas, c'est suffisant.

Aux éoliennes, on reproche aussi de nuire aux oiseaux. Le parc éolien d'Altamont, en Californie, en tue 280 chaque année! Pas de quoi s'étonner: ses 6800 éoliennes forment un véritable mur barrant un couloir de migration.

 BEAU COMME UNE ÉOLIENNE ?
 La plupart des études scientifiques montrent cependant que les oiseaux identifient l'hélice et changent de trajectoire 100 ou 200 mètres avant d'arriver sur elle. “Les espèces peu agiles ou volant en file indienne sont plus vulnérables, nuance Sylvain Albouy, de la Ligue pour la protection des oiseaux. Mieux vaut éviter les implantations dans un couloir de migration ou à proximité d'un site de reproduction.”

Mais le reproche principal fait aux éoliennes reste la dégradation du paysage. “Une donnée subjective, rétorque Jean-Michel Germa. Je reçois des dizaines de lettres disant qu'un champ d'éoliennes, c'est très beau!” Certes, mais les éoliennes ont besoin de vent. Et le vent souffle mieux sur de grands espaces, un peu élevés, dégagés. Les meilleurs lieux d'implantation sont donc les zones côtières, les plateaux, les montagnes et les couloirs des grands fleuves, comme la vallée du Rhône. “Dans le Larzac, un des sites retenus est une crête d'où l'on peut voir à 100 kilomètres à la ronde, au nord l'Aubrac, à l'ouest les monts de Lacaune, à l'est les Cévennes et le mont Aigoual. Un paysage exceptionnel”, raconte Jean-Paul Delette. En Normandie, l'association Bien vivre en Caux se bat pour préserver les falaises de Fécamp des invasions d'éoliennes. Le cap Corse porte déjà treize longs mâts blancs à Ersa, sept autres à Rogliano, et il est envisagé d'en installer encore vingt ou vingt-cinq autres. Jacky Padovani, le maire d'une des communes concernées, San-Martino-di-Lota, y voit une source de “ développement économique”. Entre la taxe professionnelle et le bail, une ferme éolienne rapporterait à sa commune au moins 750000 francs (115000€) par an, soit l'équivalent de 40% de ses impôts locaux. Mais ses administrés préfèrent conserver leur ligne de crête, encore sauvage, et un territoire de chasse que les travaux de terrassement réduiront forcément. Car l'impact des éoliennes sur le terrain peut être important, même si leur emprise au sol est faible. Construction des pistes d'accès, enfouissement des lignes électriques, installation des postes de transformation. . . Les mâts n'arrivent jamais seuls.

Dans le Languedoc-Roussillon, pour intégrer harmonieusement les éoliennes dans les milieux naturels et les paysages, la direction régionale de l'environnement a réalisé un schéma des zones d'implantation. Toutes les raisons pour lesquelles les éoliennes pouvaient être indésirables en un lieu donné ont été listées : proximité d'un monument historique, paysage caractéristique, présence d'un couloir migratoire, zone de refuge ou de nidification, habitat d'espèces protégées... Puis chaque lieu a été noté en fonction de ces éléments. Ce document sert de référence lors des nombreux combats entre préfets, associations et constructeurs. En Allemagne et au Danemark, on n'a pas toujours tenu compte de tout cela. Du coup, des associations intentent des procès parce qu'elles estiment qu'un site n'a pas été suffisamment préservé. Même l'agence danoise de l'énergie a attiré l'attention sur le fait que le développement à grande échelle de l'énergie éolienne pouvait avoir “un impact extrêmement négatif sur le paysage et l'environnement”. Le pays tente désormais de développer les installations offshore. Des éoliennes en pleine mer: voilà sans doute une solution qui pourrait réconcilier tout le monde. Le territoire français, par exemple, possède un gisement éolien de 75 millions de MWh sur terre, mais de 477 millions de MWh en mer. Plus que la consommation nationale d'électricité (457 MWh) ! TotalFinaElf lance un projet de ce type en Belgique. En France, les premières bases éoliennes maritimes pourraient être construites au large de Brest. Mais de telles plates-formes coûtent plus cher que les parcs traditionnels, alors les candidats ne se bousculent pas. A quand la prochaine mesure d'incitation gouvernementale ? .

Copyright Denis GROISON/Science&Vie n° 1008-Sep.2001
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